L'acteur français, né le 8 novembre 1935, est décédé dimanche 18 août à l'âge de 88 ans. Sa beauté d'ange diabolique et sa présence féline révolutionneront le cinéma dans les films de Clément, Melville et Visconti.
Ça, on peut dire qu’il s’y était préparé. Alain Delon est mort tellement de fois à l’écran que cela a dû lui paraître une dernière prise. Dieu, qui est un mauvais scénariste, a dit : « Coupez ! » Delon ne s’est pas relevé. Il ne tiendra plus la barre du ketch de Plein soleil. Il ne noiera plus Maurice Ronet dans La Piscine. Il ne s’effondrera plus sous les yeux de Cathy Rosier dans une boîte de nuit tenue par Jean-Pierre Melville. Il est aujourd’hui libéré de la guerre que se menaient ses enfants, Anthony, Alain-Fabien et Anouchka, déballant leur querelle dans un dramatique mélo médiatico-judiciaire, indigne de la star qu’était leur père.
Il fut un temps où le prince Tancrède de Lampedusa avait ce regard bleu, où Claudia Cardinale n’en revenait pas de danser dans les bras de ce fauve en uniforme garibaldien. Delon était nerveux, charmeur, électrique, inquiétant. Il avançait de sa démarche de jaguar. Le geste qu’il avait pour lisser le rebord de son chapeau de tueur à gages dans Le Samouraï…
Sa barbe de trois jours, son pardessus en poil de chameau dans Le Professeur où il chavirait le cœur de Sonia Petrovna face à une Léa Massari attendrie et désolée. La ville de Rimini était triste, secrète, brumeuse. Le héros désenchanté conduisait une Traction noire, ressemblait au Brando du Dernier Tango. Delon semblait toujours garder un secret. Romy Schneider, radieuse, lui souriait en deux-pièces dans une bastide tropézienne. Dans une chambre forte, Charles Bronson, torse nu, essayait de lui voler la vedette. C’était dans Adieu l’ami et l’Américain n’arrivait pas à faire de l’ombre au Français. Du film, il reste les biceps de Delon et ce jeu qui consistait à glisser le plus de pièces de cinq francs dans un verre rempli d’eau à ras bord.
On reconnaît les cinéphiles à ce que pour eux Fort Boyard n’évoque pas un jeu télévisé, mais la fin des Aventuriers où Delon expirait dans les bras de Lino Ventura. Ce sont des images qui ne s’oublient pas. Ce sont des images d’Alain Delon. Son laconisme était légendaire. Il n’avait pas besoin de longues tirades pour exprimer le désarroi d’un Monsieur Klein (1976), entreprise qui n’aurait jamais vu le jour sans son concours. Il fut L’Homme pressé de Morand devant la caméra de Molinaro. Le titre lui allait bien. La vie ne se déroulait sûrement pas assez vite à son goût. Delon enchaînait les chefs-d’œuvre, séduisait les metteurs en scène de génie. Il les comparait à des chefs d’orchestre et lui se disait leur premier violon.
Le dernier géant
Qui, qui d’autre, peut aligner dans son curriculum vitae Clément, Antonioni, Visconti, Losey, Melville ? Il a été Swann, Zorro et Chaban-Delmas. Il a planté un piolet dans la nuque de Trostski et conquis Sydne Rome. Il a joué Simenon, travaillé pour Godard sur le tard, lui qu’avait boudé la nouvelle vague. Tout au long de sa carrière, on le compara à son alter ego Jean-Paul Belmondo. Les deux s’affrontèrent dans Borsalino (1970), se retrouvèrent dans Une chance sur deux (1998). Ils avaient porté le cinéma français sur les épaules. Cette tâche avait fini par les lasser. Delon tint la dragée haute à Gabin et Ventura, deux colosses. Son admiration était destinée à John Garfield.
Au bout d’un moment, il se sentit un peu seul. Les flics et les voyous perdaient de leur attrait. Les gens qu’il respectait disparaissaient un par un. À l’instar d’un Clint Eastwood, il passa à la réalisation. Il ne s’épargnait pas, ne détestait pas se faire démolir en gros plan. Ce solitaire cultivait l’amitié. D’un autre côté, ses brouilles n’étaient pas feintes. Sur un plateau, ses colères résonnaient comme le tonnerre dans une cathédrale. Dans une pièce, il entrait en foule. La présence qu’il avait. Un tel phénomène ne se reproduira plus.
Au fond de lui, il restait peut-être ce petit garçon de la banlieue dont les parents avaient divorcé quand il avait quatre ans, ce gamin placé en famille nourricière qui jouait dans la cour de la prison de Fresnes et qui avait entendu résonner les balles qui avaient exécuté Laval, l’apprenti-charcutier qui avait préféré s’engager pour l’Indochine. Ses 20 ans, il les fête en prison à Saïgon. Là-bas, il voit Touchez pas au grisbi. Le spectateur en treillis ne se doute pas une seconde que bientôt il partagera avec Gabin l’affiche de Mélodie en sous-sol (1963). Parfois, il se souvenait que son vrai père avait dirigé le Régina, une salle de Bourg-La-Reine en banlieue parisienne.
Il a couru le monde, choyé la France. Il ne la reconnaissait plus. Il ne se reconnaissait plus. Son regard bleu était devenu gris. Nous resterons quelques-uns à nous souvenir d’une Plymouth Fury, d’un hold-up nocturne place Vendôme, d’une serveuse tendant une rose rouge à celui qui va mourir, de l’hôtel particulier du 22, avenue de Messine, de Joanna Shimkus s’enfonçant dans l’océan dans un scaphandre, de Ripley descendant la via Veneto, de Delon en battle-dress contemplant la capitale à l’aube et lâchant : « Dormez en paix, Parisiens. Tout est tranquille ». Fondu au noir.
Il garde son mystère. Il part avec ses secrets. Le cinéma ne le méritait plus. Il ne le comprenait plus. Où était la parole donnée ? Où était l’ardeur ? Il laisse derrière lui un parfum de deuil et de catastrophe. Une fragrance qui a mal viré ces derniers mois, quand ses enfants, avec qui les relations n’étaient jamais simples, se sont publiquement déchirés sur fond d’un héritage encore à venir. Parmi les dernières images qu’Alain Delon laisse, il y aura celles de ce monsieur un peu hagard, posant avec Anthony, Alain-Fabien ou Anouchka dans des manifestations d’amour filial calibrées pour les réseaux sociaux et les prétoires. Mauvais remake pour lequel il n’avait pas signé et qui aurait pu s’intituler Anouchka et ses Frères.
La passion porte un voile sombre. Il n’y aura plus d’Alain Delon. Son épitaphe était prête: «J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et par cet être factice créé par mon orgueil et mon ennui ». Il va falloir s’habituer à vivre dans un monde sans lui. Il n’est pas sûr qu’il soit tellement habitable. Nous sommes tous des orphelins des années Delon.
Emmanuel Macron salue la mémoire de celui qui a «fait rêver le monde»
Un « monstre sacré », une « légende » qui « incarnait l’élégance française » : la classe politique – principalement à droite et à l’extrême droite – a salué dimanche « l’immense vie de cinéma » d’Alain Delon, dont la mort à l’âge de 88 ans a été annoncée le dimanche 18 août par sa famille.
« Monsieur Klein ou Rocco, le Guépard ou le Samouraï, Alain Delon a incarné des rôles légendaires, et fait rêver le monde. Prêtant son visage inoubliable pour bouleverser nos vies », a rendu hommage Emmanuel Macron sur X. « Mélancolique, populaire, secret, il était plus qu’une star : un monument français », a-t-il ajouté pour saluer la mémoire de l’immense acteur français.
Outre le Président de la République, ce sont les politiques de droite et d’extrême droite qui ont été les plus prompts à réagir. « La légende est partie. Alain Delon nous laisse orphelins de l’âge d’or du cinéma français qu’il incarnait si bien. C’est une petite partie de la France que l’on aime qui part avec lui », a réagi sur X Marine Le Pen, triple candidate Rassemblement national à l’élection présidentielle. Élevé dans le gaullisme et vieil ami de Jean-Marie Le Pen, Alain Delon n’a jamais caché ses convictions conservatrices et sa proximité avec la droite, qu’il a soutenue au gré des présidentielles. C’est de ce camp que sont venues les premières réactions politiques, les dirigeants de gauche restant silencieux à ce stade.
La Rédaction7 avec Le Figaro
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